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MASCARAS – MASQUES – MASCARADE

A la maternité face à une maladie, et pour toujours, à ma maman courageuse.[1]

J’étais enfin « aux urgences ». J’étais aux « urgences pédiatriques ». 

Il était presque minuit et la salle d’attente était plus que petite. Il n'y avait qu’un seul parent par enfant. J’étais angoissée depuis le premier instant. Depuis que le gardien a empêché mon mari de rentrer, parce que le COVID, parce que la vie actuelle est comme ça Madame et Monsieur et point.

Je suis rentrée et j’ai commencé à compter le nombre d’enfants et de parents quand une infirmière m’a dit qu’il fallait passer à une autre petite salle. Il ne s’agissait pas encore de la consultation. Il était « tout simplement Madame » question de noter les informations administratives et médicales et de raconter plus ou moins, disons beaucoup plus que moins le pourquoi d’être là avec ma fille âgée de deux ans dans mes bras. Il s’agissait « seulement » de lui prendre la température et d’examiner grosso modo tout son corps et son état pour déterminer s’il y avait urgence ou non et (je crois) dans quel ordre elle devait passer à la deuxième étape.

Je suis sortie de ce premier entretien un peu perturbée. Ma fille avait de la fièvre et avec son bracelet rose elle avait eu le droit au doliprane. Cependant, sa toux s’était soudainement arrêtée. Je n’avais plus la possibilité de justifier ses horribles quintes respiratoires incessantes vécues (comme à chaque fois) pendant trois nuits, je ne savais pas comment démontrer que ces nuits étaient un calvaire, qu’elle ne voulait pas de médicaments, que je pensais qu’elle en avait plus que marre comme mon mari ou moi, je n’avais plus possibilité d’éviter d’être cataloguée comme la maman débutante qui, désespérée, ne peut pas « reconnaître qu’il y a des vraies urgences » comme celles qui étaient flagrantes à mes yeux et qui concernaient même des nourrissons âgés seulement de quelques mois (voir quelques jours).

Je me suis assise à nouveau et dans mes bras ma fille. Dehors était son papa en train de nous faire des « coucous » par la fenêtre, et les « coucous » veulent dire, essayant de nous rassurer, de nous dire, qu’il acceptait (enfin) ce déplacement à cet hôpital car pour lui aussi cela était nécessaire, car pour lui je n’étais pas affolée, car tous les deux nous avions vécu la même torture pendant des mois et des mois à cause de "la maladie" de notre fille. Tous les deux nous avions passé des nuits entières à la surélever et à la faire dormir à la verticale, à la prendre dans nos bras pour éviter l’étouffement et les vomissements. Tous les deux  nous avions écouté : « c’est la crèche », « elle fait son immunité », « ça va passer », « tous les enfants sont malades », « tous les enfants toussent », « c’est mauvais de donner autant de médicaments », « c’est l’hiver », « c’est le froid », « c’est le vent », « c’est dans votre tête », « c’est qu’avec vous qu’elle tousse », et une de plus blessantes pour moi:« c’est le manque d’allaitement »… tous les deux nous savions que ces phrases sont la plupart de temps bien intentionnées mais aussi la plupart de temps bien inappropriées ou indélicates car quelqu’un et notamment un parent qui n’a pas vécu les signes d'un asthme sévère d’un bébé ne peut pas réellement comprendre la situation (même avec la plus douce volonté).

La maladie, et surtout une maladie chronique, n’importe laquelle, est comme la plupart des choses dans la vie, une expérience unique, un chemin individuel quidevient un chemin INTIME de couple ou de famille. La maladie n’est pas une théorie exacte réduite à des prescriptions chimiques ou à un coaching de relativisation cherchant la guérison.   

Deuxième entretien.

Cette fois-ci avec le médecin en stage, un jeune homme gentil qui comprenait l’espagnol (je me suis rendue compte à la fin avec son accent parfait avec lequel il a prononcé quelques phrases pour ma fille). Ce jeune homme à cheveux brun, souriant et de blouse blanche immaculé a retracé l’histoire clinique de l’asthme de Gabriela. Sa conclusion, « je vais appeler le médecin en cheffe, je ne trouve pas d’anormalité et votre fille ne tousse pas tous les trente secondes comme vous affirmez qu'elle faisait il y a moins d’une heure à la maison. Il faut continuer le traitement et les médicaments A, B, C, D, E etc. etc. prescrits depuis novembre 2020 par Dr. U, Dr. W, Dr. X et Dr. Y. ».

Inutile de lui dire que c’était inutile les médicaments A, B, C, D, E etc. prescrits depuis novembre 2020 par Dr. U, Dr. W, Dr. X et Dr. U, inutile car il avait déjà décrété son avis et malgré sa sympathie je n'avais nulle envie de continuer à le voir ou lui parler.

Retour à la salle d’attente.

Les regards de deux mamans qui attendaient depuis 18h30 étaient glacials. Je savais bien qu’elles m’avaient dit que j’allais avoir au moins quatre heures d’attente. Je savais bien qu’il ne nous manquait que l’avis du médecin expert et je commençais à accepter « qu’il n’avait rien de grave » et que nous allions sortir en moins de deux heures.

Le Dr. en cheffe est apparue, une femme robuste et belle. Cette professionnelle est sortie pour confirmer que tout allait bien, qu’il n’avait pas de gravité mais que si je voulais « une radiographie de poumons était possible pour me rassurer ». Comment refuser cette proposition si j’avais avec moi l’amour le plus grand de ma vie ?

Cette médecin m’a donné des indications précises pour arriver à la salle de radiographie. Il fallait monter par l’escalier gauche quatre étages, traverser le couloir jaune, tourner à droite direction escalier H, tout au fond il y aurait un autre couloir bleu, et une autre Madame de la médecine qui serait en train de m’attendre. Il fallait être bien concentrée et ne pas me perdre. Moi qui n’ai jamais eu (peut-être c’est volontaire) le sens de l’orientation dans la vie, j’ai pu cette nuit en moins de trois minutes retrouver la salle et l’autre professionnelle qui a mis Gabriela bien à l’aise avant de la faire déshabiller pour passer la machine et le laser.

Radiographie largement anormale.

Les machines parfois ne se trompent pas. 

Les mamans parfois ne se trompent pas... même si elles débutent...

Il fallait faire très rapidement les « nébulisations », les « aérosols ». Les bronches de Gabriela n’étaient pas seulement gonflées mais ils commençaient à être complètement obstrués.

Nous avons marché vers une autre salle.

J’étais tendue, fâchée, épuisée.

Un autre Dr. viendrait pour nous aider à bien utiliser « l’appareil ». Il fallait être patiente parce que peut-être ma fille allait rester après à l’hôpital. Je ne savais pas de quel « appareil » ces docteurs me parlaient… 

Mais tout d’un coup… je l’ai vue.

Le masque était là.

Un petit masque, avec la sonde et la machine, sur la table attendant mon petit trésor.

Inévitablement…

J’ai pleuré.

J’ai pleuré en silence en cachant de toutes mes forces mon désarroi à ma fille.

J’ai pleuré au milieu de cette chambre parce que je suis revenue en arrière et je me suis retrouvée avec le même type « d’appareil », le même type de masque -plus grande en taille évidemment, dans une de « meilleures cliniques de Neuilly-sur-Seine ».

Fin Juillet 2010

La raison pour laquelle j’ai porté la MASCARA n’a pas été l’asthme incompréhensible ou les bronches obstrués, j’ai du la porter pour perdre connaissance, parce que quatre médecins ont jugé nécessaire de me faire évanouir pour ne plus continuer à sentir la douleur profonde, atroce, amère, causée par les « mèches » qui ont taponné mon vagin après mes multiples déchirures vaginales qu’ils n’avaient pas réussi à retirer avec aucun autre méthode.

Il m’a fallu du temps pour comprendre que ces « mèches vaginales » ont été très contestées et ont été utilisées en grande partie par des chirurgiens incompétents qui participent (comme dans mon cas) à un accouchement…

Retour à la nuit froide de l’hiver 2022

J’ai continué à pleurer longuement…

…parce que ce n’était plus mon tour…

…parce que la MASCARADE n’a peut-être pas de final…       

 

Laura Jennifer Angulo Quintana – Laura Devos - 24 février 2022

 

[1] « Je ne vais pas prononcer le nom de cette maladie, pense le médecin, car je ne veux pas le punir, je ne veux pas le condamner, je ne veux pas lui faire perdre espoir et le plonger dans le désespoir. Parce qu'il n'y a pas de maladies, seulement des patients.

Je ne prononcerai pas ce nom, dit le patient, parce qu'ils me fuiront, parce qu'ils m'abandonneront, parce qu'ils m'isoleront, parce qu'ils ne m'aimeront pas et ne m'épouseront pas. Parce qu'ils me regarderont avec crainte.

Je ne prononcerai pas ce nom, dit le père, dit la mère, parce que cela ne peut pas être possible, ceci ne peut pas être, pas du tout possible, pas du tout possible.

...

Des années plus tard, lorsqu'il semble définitivement confirmé qu'il souffre de troubles schizo-affectifs, j'ose être claire avec Daniel sur ce qu'aucun médecin ne veut appeler par son nom devant lui. Il me demande, les yeux écarquillés, si c'est pour toujours. Et moi, étouffant mes larmes, je lui réponds :

Oui Dani, pour toujours. » 

Extrait et traduction libre du livre de Piedad Bonett "Lo que no tiene nombre", pages 47, 48 et 62.